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Aménagement numérique Très Haut Débit du territoire & Interprétation des délégations aux exécutifs locaux :

mardi, 11 février 2020 15:14

Le pragmatisme commande d’apprécier largement les délégations données, en matière de marchés publics, aux exécutifs des collectivités et établissements compétents sur les réseaux d’initiative publique

Introduction et enjeux :

Ainsi que le rappelle encore une récente mise à jour par l’ARCEP, le 4 février 2021, de sa page internet consacrée aux collectivités et réseaux d’initiative publique (RIP), la loi de 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a considérablement élargi le champ des compétences des collectivités territoriales en matière d’aménagement numérique du territoire. En particulier pour combler le vide numérique en zones blanches, le plus souvent en zones rurales les moins rentables pour les opérateurs privés de télécommunications.

Les collectivités territoriales concernées, ou leurs groupements, délèguent ainsi à une structure projet, comprenant au moins une région ou un département, leur compétence relative aux réseaux de communications électroniques définis par les dispositions de l’article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales.

De tels établissements publics, à l’instar du Syndicat Mixte Ardèche Drôme Numérique, se doivent de répondre à un plan d’actions extrêmement contraint en termes d’objectifs de déploiement des réseaux publics internet à très haut débit en fibre optique.

S’il ne s’agit évidemment pas de passer outre l’encadrement règlementaire applicable à la commande publique, la question se pose de savoir comment gérer quotidiennement des maîtrises d’ouvrage parfois croisées sur le terrain.

Sur un territoire aussi vaste que celui des départements de l’Ardèche et de la Drôme sur lequel ADN exerce ses compétences, la programmation des travaux de déploiement implique une coordination avec chacune des « petites » communes. C’est un impératif crucial, non seulement de gain de temps, mais aussi et surtout d’optimisation de la gestion des deniers publics.

Typiquement, lorsqu’une commune, un établissement de coopération intercommunale ou un autre opérateur de réseau s’apprête à réaliser des travaux, généralement une tranchée à l’occasion de laquelle il est plus que pertinent d’en profiter pour que le syndicat mixte numérique y place un fourreau (que l’on qualifiera ici d’infrastructure de transport numérique), ces derniers vont le plus souvent prévenir ADN au dernier moment (ou ne pas l’informer du tout). De fait, par méconnaissance de l’article L. 49 du code des postes et des communications électroniques.

Or, peut-on régulariser dans l’urgence une convention de co-maîtrise d’ouvrage sur la base de la délégation générale donnée aux exécutifs locaux concernés en matière de passation de marchés publics ? Ou faut-il attendre la tenue des prochaines séances des organes délibérants des collectivités et établissements publics concernés, au risque de considérablement retarder la réalisation des travaux envisagés, voire devoir rouvrir la tranchée, suscitant ainsi l’incompréhension légitime des administrés ?

Si le choix de la souplesse nous semble assez évident, la Doctrine administrative de l’Etat est très stricte en termes d’exigence d’une réunion de l’assemblée délibérante pour organiser d’éventuels transferts de maîtrise d’ouvrage, ce qui ne va pas du tout dans le sens des objectifs de rapidité assignés aux structures locales concernées.

Le Syndicat Mixte ADN, à la fin de l’année 2018, a toutefois obtenu du Tribunal administratif de GRENOBLE, sur saisine du Préfet, un avis qui opte pour l’absence d’obligation de réunir de manière systématique les organes délibérants.

Nous revenons ci-après sur ces perspectives, après avoir rappelé la rigueur de la Doctrine administrative en la matière.

Rappel des textes et de la rigueur de la Doctrine administrative quant à la portée de la délégation donnée à l’exécutif local en matière de marchés publics :

Si l’on s’en tient au texte classique de l’article L. 2122-22 (4°) du code général des collectivités territoriales applicable aux communes, mais dont on retrouve l’alter ego pour les départements et les régions aux articles L. 3221-11 et L. 4231-8, le Maire peut être chargé par délégation du conseil municipal, en tout ou partie et pour la durée de son mandat, de « prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ».

En Avril 2018, le député Hervé Saulignac, ancien Président du Syndicat Mixte ADN, avait interrogé le ministre de l’action et des comptes publics sur la portée de cette délégation afin de savoir si, dans un souci d'efficacité et de simplification de la commande publique, au regard de la charge de la réunion d'un conseil municipal ou d'un comité syndical, la délégation évoquée pouvait ou non viser la passation et la signature des conventions de transfert temporaire de maîtrise d'ouvrage, prise sur le fondement de la loi MOP.

La réponse ministérielle a été la suivante :

« Au titre des articles L. 2122-22, L. 3221-11 et L. 4231-8 du code général des collectivités territoriales (CGCT), l'assemblée délibérante peut déléguer à l'exécutif local la faculté de « prendre toute décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres, ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget ». L'interprétation a contrario du 2° de l'article L. 2122-22 précité, selon lequel le maire peut être chargé « de fixer, dans les limites fixées par le conseil municipal, les tarifs… », montre que le législateur a entendu permettre de lui confier la compétence la plus étendue possible, sauf si l'assemblée délibérante en décide autrement. En revanche, s'il n'est pas défini par les textes, le terme « préparation » désigne l'élaboration du dossier de consultation des entreprises, des critères d'attribution, et plus largement la définition de la nature et de l'étendue des besoins à satisfaire (voir sur ce point les réponses ministérielles no 10018 et 10019, JO Sénat du 5 août 2010, p. 2039 et du 19 août 2010, p. 2158). À titre d'illustration, une convention constitutive de groupement de commandes n'est considérée ni comme un marché public, ni comme une « décision concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement » des marchés publics (voir la réponse ministérielle no 1560, JO Assemblée nationale du 28 août 2012, p. 4837). Il apparaît, d'une part, qu'une convention de transfert temporaire de maîtrise d'ouvrage, telle que prévue au II de l'article 2 de la loi no 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique, et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée (dite loi MOP), n'est pas un marché public. D'autre part, n'ayant ni pour objet, ni pour effet, d'élaborer le dossier de consultation des entreprises, de définir les critères d'attribution, ou même de définir la nature et l'étendue des besoins à satisfaire, une telle convention ne peut non plus être considérée comme une décision visant à préparer un marché. Elle ne peut donc être adoptée selon les règles prévues notamment à l'article L. 2122-22 du CGCT. »

(Rép. min. n° 7794, JOAN 10 juill. 2018, p. 6015, à Q. 24 avr. 2018, M. Hervé Saulignac)

 

Autrement dit, la convention par laquelle une collectivité territoriale ou un établissement public local transfert ou se voit transférer une maîtrise d’ouvrage ne s’inscrirait pas dans un processus d’achat. S’il faut bien vérifier à notre sens, sur le terrain, si un marché public de travaux implique ou non de manière effective une maîtrise d’ouvrage transférée ou partagée, la position dogmatique rappelée quant à l’adhésion à un groupement de commande est très contestable.

Autant dire qu’une telle position n’offre aucune souplesse quant aux enjeux exposés en introduction, et contraintes de délais liées aux convocations et réunions des assemblées délibérantes.

Perspectives de souplesse à l’issue de deux avis rendus le 21 novembre 2018 par le Tribunal administratif de GRENOBLE :

Liminairement, il convient de souligner que ces deux avis, maintenant relativement anciens, n’ont été ni confirmés ni infirmés en jurisprudence. Ces derniers restent donc d’actualité, d’autant plus en période de crise sanitaire lors de laquelle certaines règles de gouvernance et de commande publique ont pu faire l’objet d’adaptations.

Sur la base de ses missions consultatives, sur demande du préfet et à l’initiative du Syndicat Mixte ADN, en application des dispositions des articles L. 212-1 et R. 212-1 du code de justice administrative, le Tribunal administratif de GRENOBLE a rendu le 21 novembre 2018 deux avis (avis n° 2018-3 et 2018-4), portant sur les questions suivantes : quel est l’organe compétent, au sein d’une collectivité ou d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), pour décider de transférer ou de se voir transférer la maîtrise d’ouvrage d’une opération de travaux, puis pour décider de la création et de l’adhésion à un groupement de commandes.

Si c’est essentiellement le premier point qui est abordé dans la présente publication, traité dans l’avis n° 2018-4, la réponse apportée par les avis est la même pour les deux sujets.

Bien que les juges prennent malheureusement le soin de réserver leur position à une appréciation juridictionnelle dans le cadre d’un contentieux (n’est-ce pas finalement le point faible de TOUS les juristes ?), les exécutifs locaux pourraient bien se faire forts de la délibération les chargeant de prendre toute décision (concernant la préparation, la passation, l'exécution et le règlement des marchés et des accords-cadres ainsi que toute décision concernant leurs avenants, lorsque les crédits sont inscrits au budget) pour décider de transférer ou de se voir transférer une maîtrise d’ouvrage (voir signer une convention de co-maîtrise d’ouvrage ou de maîtrise d’ouvrage unique).

Voici comme l’avis le justifie :

« Une délégation de compétences doit s’analyser d’une manière stricte. Toutefois, le choix de transférer ou de se voir transférer la maîtrise d’ouvrage d’une opération de travaux au sens des dispositions de l’article II de l’article 2 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 susvisée doit être analysé comme une modalité parmi d’autres de préparation, d’exécution et de règlement des marchés, notamment en matière de travaux publics, dès lors que tant par son objet que par son effet cette décision vise, à travers une coopération avec d’autres personnes morales, à la passation d’un marché auquel la collectivité sera partie. Il s’agit donc bien d’une décision concernant la préparation, l’exécution et le règlement des marchés au sens du texte précité. »

Confirmation de l’intérêt d’une telle souplesse qui va s’inscrire dans un cadre opérationnel complexe tout en préservant la sécurité juridique :

La lecture du TA de GRENOBLE va permettre de répondre avec efficacité aux demandes de coordinations des collectivités locales, et d’anticiper autant que possible les travaux à réaliser, en co-maîtrise d'ouvrage (ou pas d’ailleurs), et notamment les travaux relevant de l'article L. 49 susvisé du CPCE.

Le porteur de projet peut en outre être sollicité sur des opportunités de co-maîtrise d’ouvrage ne rentrant pas obligatoirement dans le cadre desdites dispositions et les collectivités ont tout à y gagner (ainsi que le contribuable).

Cette mutualisation des travaux effectués sur la voirie va également éviter des interventions successives et limiter la gêne aux usagers.

Cette mise en œuvre étant complexe, difficile et peu utilisée, il convient de toucher au cœur même du fonctionnement de l’acheteur public pour laisser à son représentant la possibilité de saisir le plus d’opportunités possibles.

L’achat public constitue aujourd’hui une véritable politique publique qui s’intègre le plus souvent dans le plan de mandat des personnes publiques. Dès lors, lorsqu’une assemblée entend déléguer de la manière la plus large qui soit l’ensemble des actes relevant de la préparation, la passation et l’exécution des marchés publics, on peut légitimement supposer que ladite assemblée a bien souhaité donner à l’exécutif le pouvoir par délégation de se saisir de l’ensemble des opportunités juridiques, opérationnelles et financières.

Cela ne signifie pas pour autant que les exécutifs locaux se retrouvent dépourvus de tout contrôle.

En effet, les décisions prises dans le cadre des délégations sont soumises au contrôle de la légalité.

De plus, l’exécutif doit rendre compte à chacune des réunions obligatoires de l’organe délibérant.

Cela n’est pas neutre dans la pratique. Ce « rendu compte » pourrait alors avoir une autre portée « politique » que ce que les assemblées peuvent connaître aujourd’hui.

La porte est donc ouverte à un changement de paradigme dans le fonctionnement et l’organisation des collectivités au profit d’une modernisation et d’une efficacité qui semble être aujourd’hui plus que jamais nécessaire…

Sébastien DELARBRE                                                                                   Florian CHANON

Responsable administratif, juridique et financier                                         Avocat Associé (LYON)

Syndicat Mixte ADN                                                                                          SELARL CHANON LELEU

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